Rencontre avec Orama, une artiste designer originaire de Raiatea, passionnée par le textile et plus spécifiquement la plume. Découvrez l’interview d’une personne qui souhaite s’engager sur la voie de l’éthique et de l’écoresponsabilité. Nous avons pris beaucoup de plaisir à rencontrer cette exploratrice de matières étonnantes qui œuvre à la valorisation du patrimoine culturel polynésien

Peux-tu te présenter ?

Orama Nigou, artiste et designer du patrimoine polynésien et originaire de l’île de Raiatea.

Quel est ton parcours ?

J’aime beaucoup la recherche et j’ai toujours complété mon enseignement scolaire par des expérimentations personnelles. J’ai obtenu mon premier diplôme au CMA, puis j’ai continué en métropole avec un diplôme mention matériaux, textile responsable, prospectif et innovant, du matériau à l’objet.

Pourquoi avoir choisi de devenir artiste ?

Avant de prendre une patente il y a cinq mois, je ne pensais pas en faire mon métier en tant que tel. Je me voyais faire autre chose dans le milieu de la création, c’est vraiment devenu concret le jour où j’ai pris ma patente. Ce n’est pas quelque chose que j’avais conscientisé, même si j’ai eu une formation au CMA dans mon parcours. J’ai fait la dernière formation qui était un programme sur 3 ans avant l’installation des CPMA et des BPMA.

D’où te viens ta passion pour l’art ?

J’imagine que cela s’est construit petit à petit avec la pratique du dessin, la danse, les visites de musées dès que la famille voyageait, les documentaires historiques…..

Où trouves-tu ta motivation ?

Excellente question. La motivation est quelque chose de très fluctuant, mais j’imagine que globalement, tant que j’aurais la sensation que mon travail a du sens pour moi et/ou pour mon fenua je pourrais continuer.

Quelles sont tes sources d’inspirations ?

Je travaille toujours en mobilisant le patrimoine polynésien d’une manière ou d’une autre. Pour le reste, mes inspirations peuvent venir du monde de l’Art, du Design, des Métiers d’art ou encore des Sciences, c’est très varié.

Quel est ton rapport avec ton public ?

En tant qu’artiste, je fais des propositions à travers mes œuvres et libre aux gens d’apprécier ou non. En tant que designer, j’entends traiter des problématiques qui concernent directement le public polynésien et il a alors toute son importance dans le processus créatif. Il y a un subtil équilibre à trouver dans cette relation, entre prendre en compte la voix des gens et savoir se protéger de cette même voix.

Quelle est ton expérience artistique la plus marquante ?

Je ne fais pas de classement, mais les moments où je peux interagir avec des objets de patrimoine sont très forts.

Peux-tu nous en dire plus sur ton univers artistique ?

J’aime dire que je suis quelqu’un qui a un problème avec les textures, j’ai un rapport très sensoriel avec mon environnement. Bien entendu tout ceci s’inscrit dans l’univers polynésien auquel je suis très fortement attachée. J’utilise le patrimoine pour questionner des problématiques contemporaines.

Quelle est ta matière de prédilection ?

En termes de matériaux, je me suis dirigé spécifiquement vers la plume pendant mon diplôme en France où j’ai découvert le métier d’art qu’est la plumasserie via des stages en milieu professionnel et j’ai complété mon enseignement par la recherche en expérimentant des techniques liées à la plume dans le domaine des arts polynésiens.

Quels sont tes outils préférés ?

Vu ma pratique du moment, mes outils de bases sont ceux liés à la plume et à la couture : la pince, les ciseaux, le fil…

Peux-tu me parler des œuvres que tu as exposés lors de cette exposition ?

Dans mes œuvres exposées, il y a celle avec laquelle « tout a commencé » : une expérimentation de reconstitution du vestige de maro’ura qui est encore aujourd’hui au musée du Quai Branly à Paris.
Ensuite, il y a une réinterprétation contemporaine de Taumi avec les échantillons de recherche qui lui correspondent, qui est la pièce que j’ai composé spécialement pour cette exposition et qui représente environ 100 heures de travail.

La plumasserie demande beaucoup de patience et de minutie. La préparation de la matière représente environ 80% du travail du plumassier.
 La dernière œuvre n’est pas forcément celle qui flashe le plus, mais celle qui me tient le plus à cœur. C’est une référence aux travaux d’Adrian Van Allen sur la valeur des objets de musée et de la matière, des écrits qui ont contribué à forger ma pensée. C’est un genre de journal texturel qui documente petit à petit à travers le geste et la matière toutes les expérimentations que je suis amenée à produire, à quel moment, avec quelles pensées. C’est une œuvre qui aura vraiment du sens dans 10, 20 ans quand j’aurai continué à la remplir encore et encore. Elle est destinée à devenir un véritable témoin de ma pratique, pourquoi pas transmissible à un éventuel apprenti qui voudrait poursuivre mon travail après moi, avec sa propre sensibilité.

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Quel est ton rêve d’artiste ?

J’ai conscience que je ne le verrais peut-être jamais de mon vivant, mais un aboutissement serait de créer, de manière pérenne, une filière textile en Polynésie française, de la fabrication de la fibre au produit textile fini. Cette idée n’a pas pour objectif de faire concurrence complète à l’importation, mais de proposer une alternative qui existe sur le territoire, un vrai plus pour la Polynésie française. Imaginons des textiles polynésiens de qualité qui pourraient être portés par les locaux mais aussi s’exporter à l’international

Quels sont tes objectifs/ projets pour l’année 2022 ?

J’aimerai beaucoup monter ma première exposition en solo et participer à la prochaine Tahiti Fashion Week, qui est une autre manière de montrer mon travail. Car j’aime l’idée que mes pièces puissent être vu dans des contextes différents qui peuvent donner des sens différents.

Quels conseils pour un jeune qui aimerait se lancer ?

La pratique, l’ouverture d’esprit et la résilience. C’est bien sur loin d’être aussi simple que ça ; en tout cas il n’y a pas de « bon moment » pour faire quelque chose. Tout ce que je peux dire c’est qu’expérimenter me parait essentiel et que chacun évolue à un rythme qui lui est propre, sur une voie qui mène quelque part, même si le résultat ne ressemble pas exactement à ce que l’on avait prévu au départ ou bien n’arrive pas assez vite au goût de l’intéressé.