Rencontre avec Tokainiua Devatine, artiste, enseignant au Centre des Métiers d’Art et chercheur. Découvrez son interview dans laquelle il évoque son parcours et son implication dans la formation des jeunes artistes du fenua. Avec la direction de l’établissement, il participe à l‘élaboration d’un parcours de formation artistique et culturel polynésien exigent et reconnu au niveau national.

Peux-tu te présenter ?

Jean-Daniel Tokainiua Devatine, on me connaît davantage sous le nom de Tokai. Je suis, entre autre, originaire de Tahiti et de Moorea.

Quel est ton parcours ?

Jeune, j’aimais regarder les photos prises par mon père et les peintures réalisées par ma mère. Lui réalisait méthodiquement des photos documentant les changements urbains de la ville de Papeete, des événements sociaux ou sportifs, les fleurs ou bien notre vie et nos réunions familiales. Elle avait peu à peu délaissé la peinture à huile pour se consacrer davantage à l’écriture et à l’observation de la société.

Adolescent, j’ai intégré des groupes de Heiva en 1998 et 1999 avant de poursuivre mes études en France. C’est durant mes années d’études en histoire et ethnologie puis anthropologie à Paris que je me suis offert mon premier appareil photo reflex et ai débuté une pratique discrète et solitaire. J’ai commencé à participer aux deux premières éditions d’un festival de photographie à l’université de Paris X Nanterre « Métiss’art ».

Suite à ma formation universitaire j’ai été amené à travailler au Service (aujourd’hui Direction) de la culture et du patrimoine, notamment comme responsable de la cellule ethnologie et traditions orales chargé de piloter les travaux de réflexion sur le patrimoine culturel immatériel polynésien. Je préparais et animais des réunions bimensuelles qui rassemblaient les directeurs et chefs de service de l’administration culturelle et autre du Pays. C’est à partir de ces réunions et travaux qu’ils se mirent à travailler en synergie. Nous étions en 2005. Cela a été très formateur pour chacun de nous. Le rapport sur le Patrimoine culturel immatériel polynésien a été rendu. Cette notion de patrimoine était encore peu claire dans sa définition et peu utilisée. C’était encore plus vrai si nous parlions de patrimoine immatériel. Aujourd’hui, les choses ont bien évolué.

En 2006, Viri Taimana nouvellement nommé Directeur du CMA, ses élèves, l’équipe de la cellule ethnologie et traditions orales et moi nous étions rencontrés pour parler de récits traditionnels de Punaauia et de savoir-faire associés à ces récits. En 2008, Vir et moi nous retrouvions par hasard au FIFO et avons commencé petit à petit à envisager de travailler ensemble au CMA. Un poste d’enseignement de l’histoire et des civilisations polynésiennes allait être créé.

C’est à partir de mon arrivée au Centre des Métiers d’Art que ma pratique artistique s’est ouverte évoluant dans un milieu d’artistes et d’excellents artisans qui m’ont montré les rudiments de leurs pratiques et de leurs techniques. Merci à eux ! Ma curiosité, mon milieu familial et ma formation universitaire m’ont amené à questionner le rapport au patrimoine, à l’objet, à l’œuvre et à l’art dans notre société.

Comme les écrivains qui s’étant réunis en 2002 au sein de l’association Littérma’ohi pour encourager, diffuser et faire reconnaître la littérature autochtone polynésienne, je décidais de travailler à faire émerger des artistes visuels polynésiens.

Pourquoi avoir choisi de devenir artiste ?

L’idée de vivre plusieurs vies en une seule, je l’ai fait mienne. Cependant, je ne mettais jamais projeter dans une vie d’artiste en art visuel. Je me suis pourtant reconnu comme tel au gré de mes expérimentations, de mes productions et de mes expériences. Après plusieurs années à enseigner, j’ai pris conscience que nous ne formerions que très peu d’artistes si les jeunes du pays n’étaient pas en mesure d’identifier des artistes autochtones mettant en œuvre une vision de l’art polynésien issue des discours que mes collègues et moi-même leur tenons durant leur formation.

Les rencontres enfin ont été très importantes et l’échange soutenu à propos de projets culturels et artistiques de diverses échelles au CMA par exemple m’a donné une assurance et une expertise croissante dans les domaines artistiques et pédagogiques.

Quel est ton rapport avec ton public ?

Je suis plutôt discret, d’ailleurs je n’ai pas de nom d’artiste en particulier, pas de encore de page web présentant mes travaux. Je m’exprime sur mon travail dans des publications locales ou étrangères, dans des publications du CMA, dans des revues orientées sciences humaines ou encore dans le dernier livre d’artiste du collectif d’artistes locaux ‘Ōrama studio paru en fin 2021 et présenté en début d’année 2022 au Musée de Tahiti et des îles.

Quels sont tes objectifs/ projets pour l’année 2022 ?

Je participe simultanément à de nombreux projets qui vont de la recherche scientifique à des travaux personnels très modestes de recueils tous azimuts de fragments de savoirs anciens et moins anciens, des projets d’expositions et surtout d’enseignement dont notamment l’ouverture d’un Diplôme national des métiers d’art et du design, mention matériaux valant grade Licence.

Enfin, nous attendons avec impatience l’ouverture des frontières pour nous retrouver avec les membres du réseau d’artistes du Pacifique Pūtahi initié en 2010 au CMA.

‘Ahu orurehau, nacres cousues sur gilet Jaune, dimensions variables, 2019

E ora ihoa, installation, opa’a, uto, feuille d’or 24k, dimensions variables, 2016

Connectés - déconnectés

Connectés – déconnectés (tryptique), impression numérique, papier sur PVC, 60 x 40 cm (chacune), 2018

Connectés – déconnectés (tryptique), impression numérique, papier sur PVC, 60 x 40 cm (chacune), 2018

Tama’a maita’i, wok, acier dépoli, 64 x 60 cm, 2018

Connectés - déconnectés

Connectés – déconnectés (tryptique), impression numérique, papier sur PVC, 60 x 40 cm (chacune), 2018

I’e, aluminium, 40 x 4,5 x 4,5 cm, 2017

Question’s trap, rotin, 96 x 70 x 110 cm, 2012

 

Sélection bibliographique :

  • TAIMANA, V., DEVATINE, J-D. T., 2022, Fa’anihinihi – Fa’anehenehe, Les 40 ans du Centre des Métiers d’Art de la Polynésie française, Centre des Métiers d’art, Tahiti, 98p.
  • ‘ŌRAMA STUDIO, 2021, ‘Ōrama, ‘Ōrama Studio, Tahiti, 174 p.
  • DEVATINE, J-D. T., GÜNTHER, J., 2021, « Making connections and building bridges » in Sūdō Journal, 3, ‘Burning Bridges’, pp. 107-117.
  • DEVATINE, J-D. T., TAIMANA, V., 2016, Manava, art contemporain polynésien, Centre des Métiers d’art, Tahiti, 151p.
  • DEVATINE, J-D. T., TAIMANA, V., 2014, Putahi i Tahiti, Rencontre culturelle et artistique, Centre des Métiers d’Art, Association Te Hoa Tumu, Tahiti, 128p.