C’est une première. Alors que depuis deux ans, la Direction de la culture et du patrimoine de la Polynésie française offre l’opportunité à quatre artistes polynésiens de partir à la Cité internationale des arts de Paris, cette fois-ci, un artiste de métropole vient d’arriver en résidence à Tahiti.  Chorégraphe, réalisateur, Frédéric Nauczyciel œuvre également dans le champ des arts visuels (photo, vidéo et performance). Rencontre.

Tu es arrivé le 2 avril pour trois mois en résidence d’artiste en Polynésie.  Comment est né ce projet ? Cette année, en plus de son partenariat annuel avec la Cité internationale des arts de Paris, la Direction de la culture et du patrimoine de Polynésie française a souhaité inverser la résidence en accueillant pour la première fois un artiste de métropole en Polynésie. En tant qu’artiste associé à la Cité des arts, j’ai été proposé pour ce programme.

Que signifie ce statut d’artiste associé à la Cité des arts ?

J’ai eu ce statut pendant trois ans, de 2017 à 2020, un statut qui m’a permis d’impulser des idées et de créer des liens dynamiques au sein de la communauté des résidents, de susciter des collaborations en interne et avec des partenaires extérieurs. A travers plusieurs projets, j’ai établi des passerelles afin d’animer la Cité internationale des arts in situ et hors les murs. Cette relation avec la Cité internationale des arts m’a permis de formaliser et conceptualiser l’idée d’une safe place en art, c’est-à-dire un endroit de confiance, un espace propice à la construction de l’identité, où les moments de crise sont permis en participant à la construction d’une communauté. C’était un travail de curateur, un peu comme pour cette expérience en Polynésie qui va également permettre de réfléchir sur cette notion de résidence d’artiste et d’échange.

Quel est le programme pour ces trois mois ?

La Direction de la culture m’a préparé un programme riche composé de rencontres avec des artistes issus d’univers très variés comme la danse, le tatouage, le chant et aussi des voyages dans les îles… Ma volonté était également celle de sortir du « centre » même s’il n’existe pas, ici, vraiment comme on l’entend. Une notion intéressante. J’ai choisi de me rendre sur une petite île des Marquises, Tahuata.

Pourquoi les Marquises ?

Cette réappropriation et revendication forte et puissante de la culture par les Marquisiens m’interpelle. Cette volonté est nourrie par un désir marqué d’authenticité. C’est ce que je vais chercher aux Marquises, une compréhension.

Qu’espères-tu de cette expérience ?

J’envisage ma résidence en Polynésie dans un esprit de célébration. Cela me permet d’aborder le champ des danses, mais aussi de la langue, du récit, des représentations de soi avec le tatouage, du genre aussi. J’aimerai réfléchir à partir de l’idée d’archipel, de l’eau et donc de l’entre-deux et du trajet, de la nature, de la propagation, de la greffe comme métaphore de l’identité contemporaine d’un territoire français colonisé.

Quel est ton parcours artistique ?

J’ai commencé par la danse, en accompagnant plusieurs années le chorégraphe américain Andy De Groat, une grande figure de la post modern dance, une danse qui rompait avec l’académisme. Elle faisait intervenir dans des chorégraphies de marche et de scènes de la vie quotidienne, des amateurs, des gens de la rue, des gros, des noirs…je suis issu de cette culture et ça ne me dérange pas de faire travailler des amateurs.

Et après la danse ?

Je me suis tourné vers l’image et la photographie.  En me rendant à Baltimore aux États Unis, il y a une dizaine d’années, j’ai rencontré une scène performative de danse et de chorégraphies, une scène revendicative activiste et contestataire qui est la culture trans LGBT noire américaine.  C’est une scène très particulière née dans les salles de bal dans les années 60, un véritable mouvement qui a donné naissance à une dance appelée le Voguing. Les femmes transgenres se sont appropriées la mode et ont commencé à performer les poses de mannequins des magazines comme Vogue. J’ai été embarqué dans cette scène et j’ai commencé la performance en renouant avec mon passé dans la danse avec le film et la photo. Mon travail artistique est là, au croisement du cinéma et de la danse.

Quelle est ta définition de la performance ?

On peut parler d’un rituel, qui n’a rien à voir avec la religion, un rituel que l’artiste transcende, transforme pour l’amener ailleurs.  Par exemple, Bruce Nauman qui était un grand artiste américain des années 70 post modern se met un jour dans son atelier à marcher et à décomposer le mouvement de la marche pour essayer de le comprendre. A un moment donné, il marche en faisant mine d’avoir des talons et questionne à travers la contrainte du talon, la contrainte qu’on impose aux femmes.  Ça devient une performance captée par une caméra. L’artiste crée une réflexion et amène le public à se questionner sur des choses sur lesquelles en général on ne se questionne pas. Un artiste comme Alexander Lee ici, fait de l’art performance en complément de sa pratique plastique.

Pour finir, tu es installé à Papeete depuis une dizaine de jours. Quelles sont tes premières impressions ?

Je trouve que les gens sont extrêmement bienveillants et pour un métropolitain, c’est inhabituel ! J’ai visité le Musée de Tahiti et des îles que j’ai trouvé magnifique. Enfin, j’ai constaté qu’il n’existait pas de communauté artistique au sens réseau et je me dis qu’il y a des choses à faire dans ce sens.

Propos recueillis par
Isabelle Lesourd.

Liens pour découvrir le travail artistique de Frédéric Nauczyciel

« Un endroit de confiance » : pièce sonore en 6 chapitres, 2020 – réalisée à la Cité internationale des arts à Paris.

https://www.r22.fr/antennes/la-fabrique-phantom/un-endroit-de-confiance

« La peau vive » : des performeurs et artistes de la scène Queer auto-filment leur peau et leurs tatouages, 2017.

« Singulis et Simul » : spectacle (voguing et baroque), 2021

« Marching Band (Paris) Project » : une fanfare dansante, baroque, déambulatoire, depuis 2016

https://www.pearltrees.com/frnparis/marching-project-presentation/id63539045

« The Fire Flies, Baltimore » : voguing à Baltimore, 2012

« Célébration Marseille » : plateforme pédagogique, expérience menée à l’École des Beaux-arts de Marseille, 2021
https://www.pearltrees.com/t/celebration-beaux-marseille/id38138973